Manifeste pour la mise en œuvre du droit à l’eau
Des acteurs mobilisés
Mise en œuvre du droit à l’eau : le poids des inégalités appelle à la création d’un nouveau dispositif garantissant l’équité et l’égalité
Pour tout être vivant, l’eau est un élément vital, indispensable et non substituable qui doit être considéré comme un bien commun pour l’humanité. Par conséquent, dans un pays moderne comme le nôtre, la mise en œuvre effective du droit à l’eau pour tous mérite d’être concrétisée.
L’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques stipule que, « dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. »
Si cet article définit l’accès à l’eau comme un droit, il ne précise en aucun cas les modalités d’exercice de ce droit, en particulier pour les plus démunis de nos concitoyens.
Or le prix à payer pour les usagers de l’eau et de l’assainissement est de plus en plus élevé. Le traitement des pollutions de la ressource d’eau potable et les normes de rejet des eaux usées qui sont de plus en plus strictes entraînent une augmentation constante des coûts qui sont répercutés sur les factures des usagers.
Partout le prix augmente, mais il n’augmente pas à la même vitesse selon les territoires et surtout le poids de la charge d’eau devient insupportable pour un grand nombre de familles modestes touchées par la crise et les difficultés économiques et sociales.
Il en est d’ailleurs de toutes les charges liées au logement qui pèsent de plus en plus dans les ressources des ménages. A tel point qu’il faut s’interroger sur le respect réel des droits fondamentaux de la personne humaine, quand on mesure les efforts considérables que doivent faire les familles précaires pour assumer le poids du loyer, des charges d’eau et d’énergie.
Il s’agit aujourd’hui concernant le poids de la charge d’eau, d’une urgence sociale qui nécessite la mise en œuvre de mesures concrètes favorisant une vision de droit en complément d’une vision curative qui selon l’avis de nombreux acteurs associatifs, politiques et sociaux a trouvé ses limites.
En effet, la solidarité s’exerce aujourd’hui par le système du Fonds de Solidarité Logement (FSL) géré par les départements, qui dans son volet eau permet de prendre en charge une part des impayés sans toutefois prendre en compte les pratiques de privation et qui écarte tous les foyers qui ne sont pas titulaires d’une facture. 32 500 familles en France ont été aidées via les remises gracieuses sur les dettes des distributeurs pour un montant de 2,2 millions d’€ auxquelles s’ajoutent les mesures des collectivités territoriales qui le décident. Cela est peu au regard des 11,8 milliards que représente en 2007, la facturation de l’eau en France.
Il est urgent d’engager de nouveaux chantiers d’expérimentation et législatifs qui formalisent la déclinaison de la mise en œuvre du droit à l’eau conformément aux principes de la Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA), et associant tous les acteurs concernés.
Nous, signataires du présent manifeste, associations, acteurs de l’eau et de l’assainissement, acteurs sociaux et institutionnels, faisons nôtre les propositions portées par l’Observatoire des Usagers de l’Assainissement qui visent à la mise en œuvre d’un nouveau dispositif : une allocation eau versée par les Caisses d’Allocations Familiales, conjointement à l’Allocation Personnalisée Logement ou l’Allocation Logement et qui est de nature à favoriser une mesure d’équité, de dignité et de justice sociale.
Les inégalités devant le droit à l’eau : un constat partagé, une urgence sociale pour les familles les plus précaires.
En France, l’accès à l’eau n’est pas le même pour tous. En effet, en fonction du territoire de résidence, le prix de l’eau varie et devrait même augmenter dans les prochaines années du fait du durcissement des normes de qualité européennes. A titre d’exemple, en Ile-de-France, le prix de l’eau varie de 2,89€/m3 à Paris intra muros à 5,54 €/m3 à Auvers-sur-Oise. Et parallèlement, les salaires des ménages ont stagné voire même diminué. Ainsi, la conjonction de la stagnation des revenus faibles et de la hausse des prix pose un sérieux problème d’accessibilité à l’eau. Le poids de la charge d’eau dans le budget des ménages les plus démunis pèse jusqu’à près de 10% alors qu’il est de l’ordre d’à peine 1% pour un salaire dit médian (1470€).
Ainsi, le droit à l’eau doit être doté des moyens de son application par la mise en place d’un dispositif favorisant l’égalité et la dignité pour les familles les plus précaires et permettant de lutter contre les inégalités territoriales.
Des objectifs et des propositions cohérentes partagés par plusieurs acteurs
L’OBUSASS a rendu public un document de travail et une étude pour la création d’un nouveau dispositif et ouvrir de nouveaux chantiers de réflexion.
En juin dernier, l’Observatoire des Usagers de l’Assainissement en Ile-de-France a rendu publique une étude sur la mise en œuvre effective du droit à l’eau et la création d’une allocation eau en direction des plus démunis en proposant un nouveau dispositif d’application de ce droit, avec une estimation faite à l’échelle de l’Ile-de-France. Plusieurs acteurs ont participé à cette réflexion par un travail d’auditions, de rencontres et d’échanges. Depuis, divers acteurs se sont positionnés pour soutenir le sens de cette nouvelle démarche face à l’urgence d’agir pour définir le cadre de mise en œuvre du droit à l’eau et soulager efficacement dans cette période de crise sociale, le poids qui pèse sur les ressources des ménages les plus pauvres.
Ne pas se limiter à un traitement curatif de l’impayé d’eau : prendre en compte toutes les charges liées au droit au logement
Etant donné les imperfections du système FSL eau qui a pour vocation de prendre en charge une partie des impayés d’eau, et qui écarte l’ensemble des familles qui ne sont pas titulaires d’une facture, il est proposé de créer une allocation eau, afin de situer les personnes dans le droit sans qu’elles aient besoin d’en justifier la demande et de réduire ainsi le poids de la facture d’eau dans le budget des ménages. Nous proposons que ce droit soit distribué comme l’allocation logement par les Caisses d’Allocations Familiales afin de réduire la facture des ménages modestes sans qu’ils aient à en faire la demande, et même s’ils n’ont pas d’abonnement à l’eau.
Appliquer le principe édicté dans la LEMA : définition d’un seuil inabordable fixé à 3% du budget
La LEMA instaure le principe d’un prix de l’eau fixé dans « des conditions économiquement acceptables par tous ». L’OCDE considère un seuil d’inabordabilité du prix de l’eau fixé à 3% du budget des ménages, au-delà duquel le poids de la charge en eau devient très lourd. Nous proposons que ce seuil détermine l’aide à l’eau et devienne une condition d’attribution et d’intervention qui détermine la mise en œuvre d’un droit à l’eau et réponde objectivement aux principes législatifs.
Créer une allocation eau ouvrant un droit et l’équité de l’accès à l’eau : modalités de calculs
Ainsi, étant donné le poids que l’eau représente dans le budget des ménages démunis, nous proposons que l’allocation eau prenne en charge le différentiel entre le seuil de 3 % et le poids effectif de la charge d’eau dans les ressources des ménages, sur la base d’un calcul moyen du prix de l’eau par département et d’une norme de consommation : 50 m3 par an par unité de consommation*. Notre formule de calcul est simple à mettre en œuvre et ne nécessite pas de démarches ni de justificatifs : le différentiel du poids de la charge d’eau à partir de 3% multiplié par les ressources et divisé par 100 qui est égal au montant de l’allocation eau.
Exemple : pour un couple au RMI avec 2 enfants en Seine-Saint-Denis, la charge d’eau sur la base d’une consommation normale et du prix moyen dans ce département représente 4,69% du revenu. L’allocation eau compensera la différence avec les 3% :
1,69 (différence) x 819 € (ressources du ménage) / 100 = 14 € par mois soit 166 € par an.
Ainsi, ce droit à l’eau pourrait concerner l’ensemble des familles précaires dont la charge d’eau, à partir du coût moyen constaté dans leur département de résidence, dépasse le seuil de 3% de leurs ressources.
* 1 UC pour une personne seule, 0,5 UC pour un adulte supplémentaire et 0,3 UC pour une enfant de moins de 14 ans. Un couple avec 2 enfants de moins de 14 ans représente 2,1 UC, soit une norme de consommation de 105 m3 par an.
Mettre en œuvre un système fiable et efficace distribué par les CAF
Nous proposons que cette allocation soit versée par les CAF à l’allocataire abonné à l’eau ou bien au bailleur lorsque c’est ce dernier qui souscrit l’abonnement (et qui le déduira ainsi des charges). Nous proposons un droit non suspensif et non saisissable, versé annuellement avant régularisation des charges. Les Caf étant titulaires des données sociales, elles garantissent ainsi la fiabilité et la cohérence du dispositif. Actuellement, l’aide à l’impayé via le FSL est dépendante des politiques conduites localement et crée des inégalités territoriales. La caisse nationale vieillesse ainsi que les caisses agricoles pourraient être associées au dispositif.
Elargir le financement à l’ensemble des acteurs concernés
Nous proposons que le financement de l’allocation eau et des frais de gestion induits s’effectue par le biais de la création d’un fonds régional.
L’alimentation de ce fonds se ferait par la contribution financière des organismes suivants :
- des syndicats de distribution et d’assainissement,
- des collectivités territoriales,
- de la Région,
- de l’Etat par le biais des agences de l’eau,
- des grands groupes de l’eau dans le cadre d’un encadrement des modalités de leur participation et sur une part consacrée de leurs plus values.
Et sur la base des ayants-droits concernés par région, proportionnellement aux besoins financiers et dont le législateur doit arbitrer la hauteur de financement.
Une péréquation régionale du fonds devra se faire du fait des disparités du nombre de personnes concernées dans certains départements pour assurer aussi une solidarité régionale. Des comités de suivi et d’évaluation devront être créés pour assurer la transparence et associant tous les partenaires institutionnels, associatifs, sociaux et les collectivités territoriales à l’image des comités régionaux de l’habitat.
L’estimation faite sur l’Ile-de-France représenterait un coût de 16 millions d’euros pour accompagner près de 266 000 familles en situation précaire et à bas revenus. Cette allocation eau représenterait donc seulement 0.80 % de la facturation totale d’eau en Ile-de-France qui actuellement se chiffre à près de 2 milliards sur les 11,8 milliards de la facturation totale de l’eau en France.
Contribuer à préserver la ressource et les économies d’eau dans une démarche citoyenne et éducative.
Des mesures d’accompagnement et de soutien financier pourraient être créées dans le cadre du Grenelle de l’Environnement en direction des bailleurs, des propriétaires et des locataires, afin de soutenir la mise en œuvre d’actions et d’équipements favorisant l’économie de la ressource, le contrôle des consommations d’eau et la réduction des fuites. Des efforts importants en faveur d’actions pédagogiques doivent être conduits en lien avec les organismes engagés dans la mise en œuvre de ce nouveau dispositif.
Elaborer et légiférer sur un nouveau projet de loi garantissant la mise en œuvre effective du droit à l’eau
L’enjeu législatif est donc clairement posé. Il revient aux politiques d’engager le cadre réglementaire d’une véritable mise en œuvre du droit à l’eau et d’en définir les modalités d’application. Si le traitement social des impayés a constitué une avancée pour les usagers de l’eau dans le cadre du FSL, la situation des nouvelles réalités pour les familles modestes et les dysfonctionnements actuels du dispositif méritent une véritable évaluation et impérativement de nouveaux chantiers pour le législateur. La garantie de l’accès à l’eau ne peut pas simplement trouver des solutions curatives mais doit être construite dans une perspective de droit, de dignité et d’égalité de traitement des citoyens.
Notre pays ferait un grand pas en énonçant clairement les conditions d’exercice d’un droit à l’eau et contribuerait ainsi à peser sur la fracture sociale et économique de milliers d’habitants. Il pourrait aussi le faire en intégrant une vision élargie des charges liées au logement en réaffirmant le droit au logement, à l’énergie, à l’eau comme un principe de droit universel pour les citoyens. L’Europe est également interpellée s’agissant des engagements sur les droits fondamentaux.
Une proposition de loi relative à « la solidarité des communes dans le domaine de l’alimentation en eau et de l’assainissement des particuliers » a été déposée par des parlementaires à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Il s’agit de saisir l’opportunité pour créer les conditions d’un large débat avec les acteurs associatifs, institutionnels, de l’eau et de l’assainissement, grands groupes et collectivités territoriales et permettre dans le cadre législatif des avancées concrètes pour les citoyens. Au lendemain du Forum Mondial de l’Eau et dans la préparation du prochain, le Gouvernement et le parlement pourraient contribuer à peser par ce biais à la reconnaissance du droit à l’eau pour tous et toutes.
Mobilisés et engagés pour l’accès à l’eau et aux droits fondamentaux, pour la mise en œuvre de mesures de dignité, nous interpellons tous les acteurs concernés pour se joindre à ce manifeste et soutenir la démarche des propositions que nous soumettons au monde politique, économique, institutionnel et social.
Les signataires du manifeste pour la mise en œuvre du droit à l’eau
Observatoire des Usagers de l’Assainissement | Alain OUTREMAN, Président. |
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Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés | Patrick DOUTRELIGNE, Délégué général. |
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Confédération Nationale du Logement | Serge INCERTI-FORMENTINI, Président. |
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Union Nationale des Associations Familiales | Lionel LE BORGNE, Administrateur de l’UNAF en charge du dossier eau. |
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