Un Forum mondial de l’eau (FME) se tient tous les trois ans : le dernier était à Istanbul en 2009, le prochain sera à Marseille en mars 2012. L’initiative en revient au Conseil mondial de l’eau qui regroupe multinationales et Etats les plus puissants. Son président est le Français Loïc Fauchon, PDG de la Société des eaux de Marseille, filiale de VEOLIA. Créé en 1995, le Conseil mondial de l’eau se veut « la voix de l’eau », c’est-à-dire qu’il élabore un discours de l’eau au niveau global. Que l’eau devienne un sujet politique majeur à l’échelle du monde est tout à fait souhaitable. Là où le bât blesse, c’est que cette tâche devrait revenir à une institution internationale placée sous l’égide de l’ONU, pas à un groupe privé. C’est un peu comme si à la place du conseil de sécurité de l’ONU, il y avait une assemblée de marchands d’armes et d’Etats, présidée par M. Dassault. De fait, cela dépasse de très loin le lobbying « ordinaire »: la politique est privatisée ! Sous la houlette des entreprises, le Forum mondial de l’eau mobilise et influe sur les décideurs politiques à tous les niveaux et se conclut par une déclaration des ministres ou des chefs d’Etat qui donne la feuille de route pour les prochaines années. Les 20 000 participants attendus à Marseille seront pour l’essentiel des élus, des fonctionnaires et des dirigeants d’entreprises publiques !
Mais tout cela ne va pas comme un long fleuve tranquille. Il se pourrait que des turbulences surgissent en mars 2012 à Marseille ou même avant. En juillet 2010 s’est produit un événement majeur : à l’initiative de la Bolivie, l’assemblée générale des Nations Unies a reconnu le droit à l’eau potable et à l’assainissement. C’est la consécration historique du combat mené depuis de nombreuses années, par des associations, des citoyens et des élus, mais pas …par le Conseil mondial de l’eau ! A Istanbul, en 2009, une vingtaine de pays avaient publié, en marge du Forum mondial de l’eau, une déclaration en faveur de la reconnaissance du droit à l’eau que le Forum n’avait pas retenu. Du coup, dans sa préparation, le Forum mondial de l’eau est gêné aux entournures et évoque à peine cette question qui est pourtant essentielle dans la définition d’une politique mondiale de l’eau. Et si le FME joue aux abonnés absents sur un point aussi crucial, sa crédibilité politique de « voix de l’eau » est sérieusement mise en doute ! D’autant que le droit à l’eau continue à faire son chemin : une résolution a été adoptée par le Conseil des droits de l’Homme en octobre 2010 qui insiste sur la responsabilité des Etats. On pourrait imaginer que la principale manifestation internationale dans le domaine de l’eau célèbre cette reconnaissance historique et s’en serve pour impulser un nouvel élan mondial en faveur de l’accès à l’eau de tous. Ce n’est malheureusement pas la voie choisie pour le FME à Marseille. Il se présente comme « un forum des solutions », sous-entendu de terrain, par opposition aux grands discours. Ce qui, au passage, évite de faire un bilan des multiples déclarations et engagements pris par les cinq Forums précédents qui n’ont pas apporté de remède, bien au contraire, à une crise mondiale de l’eau qui ne fait que s’aggraver. Et ses « solutions » sont étroitement conçues du point de vue des entreprises. Un exemple, une des douze priorités d’action est « harmoniser l’énergie et l’eau ». En soi, ce sujet est d’une actualité brûlante, que l’on songe à l’exploitation des gaz de schistes qui pollue massivement les nappes souterraines et contamine l’eau potable ou au rapprochement entre GDF et Suez d’une part, VEOLIA et EDF d’autre part, qui concentre dans les mêmes mains différents usages de l’eau et laisse perplexe sur les futurs arbitrages… Mais, vous n’y êtes pas, « harmoniser l’eau et l’énergie », signifie pour le FME un objectif final (certes louable) de …« réduire la consommation énergétique des services des eaux » ! C’est vraiment le petit bout de la lorgnette. Peut mieux faire…
Outre ce cap incertain, le FME va rencontrer des turbulences en approchant du port (de Marseille). Ainsi la Fondation France Libertés dénonce un conflit d’intérêts entre les fonctions de Loïc Fauchon, à la fois président du FME et PDG de la Société des eaux de Marseille (SEM), filiale de VEOLIA, mettant en doute au travers du cas de Constantine, sa capacité « d’assumer la promotion de l’eau comme bien commun, tout en multipliant marchés et profits pour sa société » (http://www.france-libertes.org/Veolia-et-Loic-Fauchon-en.html). Et elle l’appelle (par une pétition en ligne : http://www.france-libertes.org/J-appelle-Monsieur-Loic-Fauchon-a.html) à démissionner!
C’est que la SEM apparaît dans ce dossier sous un jour peu flatteur, plus près de la prédation que de la mise à disposition de compétences. A titre personnel, M Fauchon, ancien maire de Trets, ancien bras droit de Gaston Deferre et de Robert Vigouroux, incarne la collusion entre le monde politique et celui des entreprises, si prégnante dans le domaine de l’eau (voir l’article de « Marsactu » http://www.marsactu.fr/2010/06/17/loic-fauchon-empereur-des-eaux-de-marseille-lhumaniste-incompris/). Ce qui n’est pas forcément un gage de sérénité pour le FME, à quelques mois d’élections municipales très disputées entre la droite et la gauche et au sein de chaque formation et à quelques semaines …des élections présidentielles ! En 2007, on se souvient que M. Proglio, alors PDG de VEOLIA, était au Fouquet’s pour fêter l’élection de M. Sarkozy. Mais le climat actuel n’est plus à de telles démonstrations ! Enfin, il y a toutes les « affaires » marseillaises, en particulier le marché des déchets : la société Bronzo qui a défrayé la chronique est une filiale à 100% de la SEM ! Ce qui fait dire à certains que tenir un Forum mondial de l’eau à Marseille, c’est comme tenir un Forum mondial des déchets à Naples ! Et les ennuis ne sont pas finis car le FME risque de rencontrer bientôt sur sa route le Forum alternatif mondial de l’eau (FAME) -lire http://eauidf.blogspot.com/2011/01/ecoutez-les-voix-de-leau.html
Jean-Claude Oliva
Président de la Coordination EAU Île-de-France
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