Il y a neuf ans, à Cochabamba, se déroulait une guerre toute particulière, celle opposant une population ulcérée par la vente de "son" eau à une transnationale américaine, Bechtel, et à un gouvernement déterminé à user de la force pour imposer ses réformes néolibérales.
Comment est née la Coordination de Défense de l’Eau et de la Vie ?
Il y a eu un rapprochement entre deux organisations relativement importantes, la Federacion de Trabadojes Fabriles, regroupant les ouvriers travaillant en usine, et la Fédéracion de Campesinos Regantes de Cochabamba, rassemblant tous les paysans et agriculteurs qui utilisent l’eau pour leur production de manière traditionnelle. Ils se sont alliés sous la menace de cette nouvelle génération de réformes néolibérales qui se développaient en Bolivie et visaient à la privatisation de l’eau. L’organisation est née vers la fin 1999, et très vite il y a eu l’organisation d’un référendum populaire [1] financé par les organisations sociales qui étaient dans cette Coordination.
Pourquoi la population s’est-elle tant impliquée dans ce conflit ?
L’énorme riposte populaire fut en grande partie le résultat de la répression militaire du gouvernement, qui plutôt que s’assoir à un table pour dialoguer avec les personnes concernées a préféré tromper les dirigeants de la coordination, les mettre en prison, les confiner dans d’autres lieux en violation des droits humains fondamentaux.
Comment cette mobilisation spontanée s’est-elle manifestée ?
D’un côté, les gens avaient des revendications locales : "Nous ne voulons pas du modèle libéral, nous ne voulons pas que tout soit privatisé dans notre ville, nous voulons des manières de participer, de discuter et de faire de la politique différentes de celles dont nous disposons ici". Mais à un niveau plus large, il y avait l’idée d’entretenir un état d’esprit de rébellion, la Guerre de l’Eau ouvrant la porte à un cycle de mobilisations sociales sans précédent ayant pour résultat l’accession d’Evo Morales à la présidence de la république.
Quel a été le comportement des médias pendant la révolte ?
Dans un premier temps, les médias appuyaient la version officielle du gouvernement, selon laquelle il y avait à Cochabamba quelques fous qui s’étaient mobilisés, des ultra-radicaux qui détruisaient tout. C’est une version que le gouvernement et la plupart des médias ont maintenu pendant très longtemps. Mais ensuite, quand la force populaire a commencé à envahir la rue, il a été impossible de nier ce qui se passait réellement, parce que quasiment toutes les rues de la ville étaient bloquées, il y avait des barricades partout, des affrontements quotidiens et une omniprésence des policiers et des militaires. A partir de là, les médias ont été forcé de dire la vérité.
Qu’est-ce qui explique ce résultat inespéré, le départ de Bechtel ?
La Guerre de l’Eau a enseigné aux gens qu’ils pouvaient se plaindre, qu’ils pouvaient parler, que pour cela ils n’avaient pas besoin d’un parti politique, et que la force collective qu’ils possédaient était destructive autant que terriblement constructive. C’est pour cela que s’est ouverte une porte en Bolivie, qui a permis de découvrir que la forme des mouvements sociaux est une forme adaptée pour faire de la politique.
Au niveau international, également, il s’est passé des choses importantes. Parce que c’était une des premières victoires, voire, si je ne me trompe, la première victoire du peuple contre une grande transnationale. Tous ceux qui étaient consternés par le fait que le néolibéralisme s’était imposé partout y ont vu un message d’espoir. Ils ont découvert qu’il y avait d’autres formes de lutte, qu’on pouvait gagner, même s’il y avait des morts et des blessés, des gens en prison. Tout cela a crée un puissant mouvement international de soutien, contre la globalisation et les réformes néolibérales. Le soutien de nombreux activistes partout dans le monde a mis une telle pression sur le dos de Bechtel que l’entreprise a finalement décidé d’abandonner la partie et de quitter la Bolivie.
Trois ans après la Guerre de l’Eau, il y a eu la Guerre du Gaz, qui mena à la démission du président Sanchez de Lozada. Est-ce que le conflit de 2000 à Cochabamba a préfiguré celui qui allait se déclencher trois ans plus tard à El Alto ?
Cette expérience de démocratie populaire, qui s’est enrichie énormément pendant la Guerre de l’Eau, a beaucoup marqué les gens. Et il y avait aussi cette vision andine selon laquelle l’eau n’est pas une marchandise, mais une part de la vie, une part de notre vie, et que nous mêmes sommes une part d’elle et qu’elle ne se vend pas. C’est bien sûr resté dans toutes les têtes en 2003.
Que s’est-il passé après la victoire dans la gestion de l’eau ?
Il y a eu une discussion très forte quand il s’est agi de savoir ce qu’on ferait de l’entreprise récupérée des mains de la transnationale, la SEMACA [2]. Il y avait un cadre institutionnel qui était le cadre de l’État et imposait certaines normes, certaines lois, et au final comprenait aussi les lois du capital, et il y avait un autre cadre qui s’était ouvert avec l’insubordination populaire et qui n’était pas étatique, né de la pratique collective. Il y a donc eu une grande discussion pour savoir quel camp l’emporterait.
La Guerre de l’Eau a été une étape très importante pour la Bolivie car elle a annulé des années de néolibéralisme. Et pourtant, ce qui a été décidé finalement, c’est de rester dans une situation intermédiaire, entre l’institutionnalisation étatique et l’utilisation de cette force populaire et du contrôle social, les directeurs citoyens étant élus par le peuple. Le problème est qu’il y a eu très vite des dérives dans la gestion de l’eau, les prévisions de production n’ont pas été remplies.
Encore maintenant, la SEMAPA a beaucoup de problèmes avec ces gens qui m’avaient pas accès à l’eau courante en 2000 et ne l’ont toujours pas. Dans la zone sud, celle qui est plus proche de l’auto-gestion, qui a construit ses puits, il y a beaucoup de gens qui restent sans accès. C’est une vraie préoccupation. Finalement, la guerre de l’eau a surtout été une victoire symbolique contre une transnationale, contre le néo-libéralisme. Mais il reste toujours ce problème amer dans la gestion de l’eau.
Ceci dit, il y a eu des progrès. La majorité de la distribution de l’eau à Cochabamba est gérée par des comités ou des coopératives, plus de 57 %. Quand on compare la gestion de ces comités avec celle - étatique - de la SEMAPA, on se rend compte qu’ils ont des tarifs plus bas et des services de meilleure qualité.
[1] Plus de 50 000 personne ont participé au scrutin, avec une immense majorité de voix opposées à la privatisation.
[2] Servicio Municipal de Agua Potable Y Alcantarillado.
[3] Plus grande entreprise pétrolière d’hydrocarbures du pays au centre d’un scandale dans lequel seraient impliqués des membres du gouvernement et… la CIA.
Source : http://www.article11.info/spip/spip.php?article313
1 commentaire:
Je viens de lire cet article du Post http://www.lepost.fr/article/2009/03/14/1457153_contrat-du-sedif-france-libertes-au-secours-de-suez.html qui renvoit à cette info http://www.lagazettedescommunes.com/actualite/33017/marches_publics/ile_france_man_uvres_sedif.htm
que j’ai du mal à croire (et à accepter, je l’avoue) : Jean-Luc Touly aurait pactisé avec Suez ! Je ne peux pas comprendre que l’on se livre à ce genre de petits calculs qui accréditent la thèse d’une vaste manipulation sur le sujet de l’eau. En tant que militant, je suis vraiment dégouté par ce genre de trucs à courte vue…Jean-Luc donne dans la caricature de lui-même et décrédibilise toutes nos initiatives. Qu’est-ce que je répondrai, que répondra Marc, au prochain qui nous demandera pour qui on roule ? je me sens manipulé par des intérêts vraiment pas reluisants.
Jean-Luc, démission !
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