Le système français de gestion de l’eau se dégrade rapidement
http://www.reporterre.net/spip.php?article4971
et http://eau-iledefrance.fr/rapport-lesage-et-crise-du-modele-francais-de-leau/
Jean-Claude Oliva
Samedi 9 novembre 2013
Le rapport d’évaluation de la politique de l’eau en France, publié par le député Michel Lesage, dresse un bilan accablant de la situation. Mais les mesures proposées restent cosmétiques face à la crise structurelle du modèle français de l’eau.
En juin 2013, le député Michel Lesage (PS, Côtes d’Armor), a publié un rapport sur la politique de l’eau en France.
Dès la préface, il pose les limites de son exercice. Exemple significatif, « les activités agricoles, note le rapporteur, sont à l’origine de pollutions dans certaines régions et mobilisent les réserves d’eau l’été pour irriguer les cultures ». Mais ce constat posé, il renvoie dos à dos deux positionnements antagoniques : « ceux qui souhaitent conditionner les aides agricoles aux changements de pratiques » et « ceux
qui considèrent que les agriculteurs en situation de crise subissent
déjà des règles, normes et zonages environnementaux excessifs ».
Cette absence de choix ne débouche sur rien de tangible : « affirmer une volonté et une mobilisation collective »
en prenant... la Bretagne comme le bon exemple à suivre ! Pourtant la
qualité de l’eau est particulièrement dégradée dans cette région où de
nombreux captages d’eau potable ont dû être fermés ces dernières années.
C’est la manifestation criante de l’échec du modèle français de l’eau,
dénoncée par ailleurs par M. Lesage.
Celui-ci envisage cependant « une plus grande conditionnalité des aides et une fiscalité incitative »
avec des propositions qui concernent les engrais azotés mais ne
s’attaquent... ni aux pesticides, ni aux porcheries industrielles (dont
le gouvernement a allégé le régime d’autorisation).
A la décharge de M. Lesage, on notera qu’il est député des Côtes
d’Armor, un département comptant neuf fois plus de cochons que
d’habitants humains : ceci explique-t-il cela ?
Le modèle français de l’eau a atteint ses limites
La crise du modèle français de l’eau tient en trois constats mis en
évidence par M. Lesage et un quatrième qu’il occulte et sur lequel nous
reviendrons.
Premier constat : « la qualité de l’eau ne cesse de se dégrader et les pollutions de se multiplier » dénonce le rapport. Et côté quantité, ce n’est pas mieux : « les conflits d’usages s’intensifient ».
La deuxième partie du rapport, consacrée à la mise en œuvre de la
directive cadre sur l’eau, constitue un brûlot. Selon l’engagement
contenu dans la loi Grenelle 2, deux tiers des masses d’eau devraient
atteindre un bon état écologique en 2015, mais ce ne sera le cas que
pour 41,5% des eaux de surface. En outre, les résultats présentés par la
France sont sujets à caution : la Commission européenne y relève des
lacunes importantes, souligne le rapport. A rapprocher de la quasi
absence de contrôle concernant les nitrates, pointée par un autre
rapport en février 2013 : dans les zones sensibles, seulement 1% des
exploitations par département font l’objet d’un contrôle !
Deuxième constat, le financement est en crise. « Les déséquilibres structurels dans le financement de la politique de l’eau ne sont pas tenables à terme ».
Les recettes reposent quasi exclusivement sur la facture des usagers et
sont en régression du fait de la baisse de consommation d’eau potable.
Alors que les besoins de financement sont considérables : la production
d’eau potable à partir d’eaux de plus en plus polluées, le traitement
plus lourd des eaux usées avant leur rejet dans le milieu naturel, la
prise en charge des eaux pluviales, la préservation de la ressource, la
protection contre les inondations accroissent les dépenses.
Le rapporteur raisonne dans le cadre du système actuel, il n’envisage
pas d’alternatives qui pourraient renverser la donne en matière de
production d’eau potable, d’eaux pluviales ou d’assainissement...
Les charges des services publics de l’eau et de l’assainissement
reposent en majorité sur les consommateurs (69 %), pour l’essentiel les
usagers domestiques, puis sur les contribuables (13 %) via les
subventions accordées et enfin sur les générations futures (18 %) via
l’emprunt. La facture des ménages ne pourra pas indéfiniment tout
financer, surtout s’il s’agit de payer la dégradation de la qualité des
eaux et le retraitement des eaux usées.
Le recouvrement intégral des coûts, qui comprend les dividendes
versés aux actionnaires des multinationales de l’eau, n’est pas remis en
cause par le rapporteur, qui souhaite toutefois qu’il ne soit pas
supporté exclusivement par l’usager.
Quelques constats bien sentis concernent les agences de l’eau et le
principe du pollueur payeur qui n’est pas appliqué aux activités
agro-industrielles. Les rééquilibrages opérés par les comités de bassin
pour la période 2013-2018 demeurent dérisoires. Ceux qui prélèvent le
plus, qui plus est au moment où la ressource eau est la plus rare,
payent la redevance la plus faible ! (En Adour Garonne, c’est huit fois
moins que l’usage domestique.)
Mais là encore, ces pages impitoyables ne débouchent sur rien. « Il
faut repenser notre modèle économique... ces questions doivent être
débattues » ; « un grand débat national doit être lancé »... Des orientations très générales pour « encourager les mesures préventives, développer une fiscalité écologique, rechercher des dispositifs innovants »
sont relèvent d’un catalogue de bonnes intentions plus que d’un
programme de mesures. La réflexion sur le financement se termine par une
attaque en règle contre toute tarification progressive, derrière un
pauvre argumentaire "technique" qui cache mal son parti pris idéologique.
Démocratie ou État fort ?
Troisième constat, "la démocratie de l’eau reste à construire".
Non seulement les usagers citoyens et leurs associations sont
marginalisés dans la gestion de l’eau, un constat que les associations
font depuis longtemps, mais le rapport met en évidence que les élus ne
s’y retrouvent pas non plus. Le rapport pointe le hiatus existant entre
l’organisation par bassins hydrographiques et l’organisation politique
territoriale.
Concernant plus particulièrement les usagers citoyens, la création
d’un quatrième collège au sein des agences de l’eau est proposée, une
mesure qui va dans le bon sens mais qui ne change pas grand chose au
système. Des mesures de toute autre nature et ampleur sont nécessaires.
Actuellement, à tous les niveaux, de la commune aux agences de l’eau,
les représentants des usagers sont désignés... par l’autorité (maire,
président d’agglo ou préfet selon les cas). Du coup, la tendance
générale est à placer ses amis ou en tout cas, les moins gênants. Il y
aurait là matière à une belle réforme...
Autre exemple, les grandes décisions qui impactent l’eau
(privatisation ou retour en régie, construction d’un barrage ou d’une
centrale nucléaire...) ne devraient-elles pas faire l’objet d’une
consultation systématique de tous les habitants concernés ? De nombreux
exemples existent en Europe : du référendum contre les lois de
privatisations de l’eau en Italie, aux multiples référendums locaux et
votations citoyennes à Berlin et dans d’autres villes allemandes, à
Madrid, etc. A chaque fois, les citoyens répondent massivement présents
pour défendre le bien commun.
De façon étonnante, malgré une ode à la démocratie, le rapport plaide
pour... un État fort ! Pourtant on a vu avec le scandale de l’ONEMA en
début d’année, l’incapacité de l’État à assurer la collecte et
l’organisation des données sur l’eau. Si on considère que ces données
font doublement partie du bien commun, car elles relèvent à la fois des
connaissances et de l’eau, il faut envisager que d’autres acteurs
(citoyens, associations, collectivités) soient associés à leur gestion,
plutôt que renforcer encore le rôle de l’État, responsable de leur
perte.
Concrètement le renforcement de l’État se résume pour M. Lesage à la création d’une « autorité nationale de l’eau » !
Un genre d’autorité qui sert à réguler la marché quand l’État renonce
à réglementer. Plus que d’un État fort, il s’agit de la consécration du
marché. En outre, cette proposition semble désuète, à l’heure où la
pléthore d’autorités administratives indépendantes en France, conduit au
regroupement voire à la suppression de certaines d’entre elles.
Un constat occulté :
Enfin le dernier constat, occulté par notre rapporteur, la
privatisation à la française qui consiste à confier l’exploitation des
services publics de l’eau et de l’assainissement à des entreprises, et
qui a fait la fortune des deux multinationales Veolia et Suez, est mise à
mal.
Au départ porté par des associations d’usagers ulcérés par les
hausses de tarifs exorbitantes, la contestation s’est étendue à de
nombreux citoyens et élus et à des sujets nouveaux : transparence,
gestion saine des collectivités, démocratie... Paris, siège des deux
multinationales, est revenu à une gestion publique en régie, le 1er
janvier 2010, pour le plus grand bien de ses habitants. Et de nombreuses
villes ont fait de même, en France et dans le monde.
Il s’agit bien de politique de l’eau, car la privatisation s’est
faite au niveau local, sur décision des maires, et se défait aujourd’hui
de la même façon, sous la pression des citoyens. Mais visiblement, cela
reste encore tabou pour une évaluation officielle de la politique de
l’eau.
La crise du modèle français de l’eau est patente, ce ne sont plus
seulement les activistes de l’eau bien commun qui le disent, mais un
rapport officiel au premier ministre ; il faut dorénavant partir des
constats critiques et partagés qui sont faits, pour favoriser des
alternatives de fond.